Textes

»   Traits de mon langage

Difficile de parler soi-même de son "style", si tant est qu'on en ait un, et l'affirmer relève d'une certaine arrogance... Je me contenterai donc de définir quelques axes qui définissent mon langage.

Je crois que l'axe primordial de mon travail est l'attirance pour la virtuosité ; pas la virtuosité gratuite qui ne serait que démonstrative et, partant, assez vaine, mais une virtuosité qui serait le vecteur d'une énergie transmissible à l'auditeur. Car une oeuvre ne vit que par et pour l'auditeur ; il ne s'agit pas de guider ses émotions (ce qui à la fois est nécessairement subjectif, et un terme assez galvaudé qui renvoie à un référencement passéiste), mais de créer une forme de frénésie communicative. Que ce soit pour un instrument seul, dans des pièces de musique de chambre ou pour grand orchestre, chaque partie est soliste (d'où des partitions d'orchestre extrêmement divisées), réclamant un investissement instrumental et physique essentiel de chacun, concourant à cette énergie que j'entends communiquer.

Harmoniquement, je me souviens de Philippe Hurel qui me disait qu'il s'agissait d'une "dialectique entre le laid et le beau". Je suis très attiré (et de ce point de vue, je ne renie en rien mon héritage purement français!) par ce qui "sonne" : d'où l'usage d'harmonies relativement consonantes (encore une notion par essence subjective), mais toujours brouillées par l'emploi intense de micro-intervalles. Dans mes pièces les plus récentes, notamment le concerto pour deux pianos que je suis en train d'écrire, je tends à utiliser, tel un contrebalancement, de plus en plus d'écriture en clusters (gammes clusterisées, agrégats massifs) ; tout en poursuivant l'écriture de "blocs" harmoniques notés de façon extrêmement précise, et hérités de Ligeti.

Au niveau du rythme, je m'efforce souvent d'écrire de telle sorte que rien ne soit synchrone : des rythmiques brouillées, vagues, avec de nombreuses superpositions de mètres. Et là encore, comme un pendant, j'utilise fréquemment des homorythmies très marquées, accidentées (assez proches parfois du jazz), et beaucoup d'éléments qui se répètent, en variant à chaque itération. Formellement, j'utilise la plupart du temps une écriture en sections, au sein desquelles une idée principale est développée, de façon toujours directionnelle (un geste du piano va être démultiplié jusqu'à saturation ; un imbroglio de gammes va se diriger vers le registre aigu)

Enfin, puisque j'évoque la notion de geste, je cherche toujours à ce que ma musique soit compréhensible ; c'est-à-dire que j'utilise des gestes qui auditivement sont clairs et identifiables, presque "concrets". Compréhensible ne signifie en aucune manière simple, et je suis opposé à toute simplification à visée hédoniste (je pense évidemment au courant néo-tonal) ; mon dessein n'est pas de plaire ; ce que je cherche c'est que ma musique puisse être au moins comprise dans ses grandes lignes, dans son cheminement dramatique.

[A la demande de Musica]

© Christophe Bertrand 06/2007

Lu sur le site de l'Ensemble Court-Circuit, et qui résume, je crois, parfaitement les traits de mon langage, mieux que je ne saurais le dire.

"Christophe Bertrand [explore] le monde de la micro-polyphonie dont György Ligeti lui a donné la passion. Musique virtuose, dense et très rythmique qui met les musiciens dans une situation toujours périlleuse. Musique de processus de transformation aussi, qui joue sur de subtiles mises en phase et décalages rythmiques autant que sur des rencontres micro-tonales qui donnent à la texture une couleur particulière."

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