Écrire, c'est s'exposer. Écrire en décalé, quelques semaines avant parution, c'est opérer dans le virtuel et c'est donc s'exposer un peu plus encore, s'exposer au risque de se voir rattrapé ou même dépassé par la réalité. Mon éditorial du mois dernier en a été la tragique illustration. Alors que je vous entretenais des compositeurs disparus prématurément et vous invitais à la réflexion sur le sujet, nous apprenions, peu après parution, la soudaine disparition, à l'âge de 29 ans, du compositeur strasbourgeois Christophe Bertrand.
Jean Mistler, dans l'ouvrage ici évoqué le mois dernier et que des auditeurs m'ont permis de lire, écrit ceci en introduction de son propos consacré à quelques compositeurs décédés dans la fleur de l'âge : « Les hommes que les Dieux avaient favorisés de leurs dons - beauté ou génie - ils les prêtaient seulement à la terre et se hâtaient de les reprendre dans leur Olympe ou leur Wallhall. Là, ces êtres vivaient, dans leur jeunesse inaltérable, partageant les festins de Zeus ou de Wotan, et la couche des déesses. Dans cette autre existence où les ombres ne faisaient guère que continuer leur vie terrestre, ces jeunes morts, que leurs brèves années n'avaient point marqués des stigmates du temps, étaient encore des privilégiés, et plusieurs légendes imaginaient même que leurs héros avaient librement choisi et préféré à la lente vieillesse, la mort en pleine force de l'âge, en pleine fleur de leur printemps ».
On voudrait y croire mais sous l'éclairage de la lumière crue de la réalité, les belles théories se révèlent vaines et la musique des mots a vite épuisé son charme. Il demeure une certitude : Christophe Bertrand nous a quittés en laissant inaccompli son destin d'homme et de créateur promis à un bel avenir.
Ceux qui ont pu assister au concert du festival Musica le 5 octobre, à l'occasion duquel était créée Diadème, l'une des dernières oeuvres de Christophe Bertrand, ou suivre l'hommage qui lui a été rendu dans notre émission L'Opus Café du 4 octobre, diffusée en direct et en public depuis le musée Würth d'Erstein, auront pu s'en convaincre.
Les autres pourront lire dans ce bulletin (page 8) les lignes tracées par un témoin privilégié de la trajectoire musicale de Christophe Bertrand. Qui, mieux que Marie- Claude Segard, directrice du conservatoire. pouvait tracer de lui un portrait aussi éclairé et sensible ?
Hubert Metzger - Revue Accent4, novembre 2010