Hommage

Sacem

(extrait)

C'est avec une immense émotion que nous avons appris la disparition brutale et prématurée, de Christophe Bertrand qui représentait l'un de nos plus brillants espoirs en matière de musique contemporaine et avait reçu en 2007 le prix Hervé Dugardin en nos murs, unanimement célébré par notre conseil d'administration et un public de professionnels enthousiastes : il était de ces êtres qui suscitent ferveur et engouement, inspirent leurs pairs et étonnent jusqu'à leurs maîtres.

Une vie d'exception qui se clôt sur une fin hors du commun, à la manière des grands novateurs des musiques populaires modernes des années 70, ses frères d'aventure et d'inventivité. Fulgurante, éblouissante, magistrale, sa carrière représentait le rêve de tout jeune compositeur de ce début de siècle - dix années parfaites, jalonnées d'oeuvres qui suscitaient autant de récompenses, d'interprétations majeures, de projets et de commandes. Un parcours exemplaire qui passait comme il se doit par les médailles d'or au Conservatoire, des collaborations de rêve (Pascal Dusapin, Mikael Jarrell, Mark Andre, Wolfgang Rihm, mais aussi, à l'IRCAM Philippe Hurel, Tristan Murail, Brian Ferneyhough, et Jonathan Harvey), des pièces dirigées par Pierre Boulez, Jonathan Nott, Hannu Lintu, Marc Albrecht, Pascal Rophë, Guillaume Bourgogne et interprétées par de prestigieux ensembles et solistes : Garth Knox, Irvine Arditti, Hidéki Nagano, Juliette Hurel, Jean-Marie Cottet, Jérôme Comte, Claire-Marie Le Guay, Marc Coppey, Jan Michiels, Ilya Gringolts, Sébastien Vichard, Ferenc Vizi, dans tout ce que l'Europe compte de festivals et de salles de prestige : il avait tout eu, presque tout vécu avec l'intensité qu'on imagine. Et puis bien sûr la Villa Médicis sans laquelle un musicien de son envergure ne serait pas tout à fait complet. Tout l'invitait à un avenir d'exception, une carrière majeure, un parcours mémorable, dont on n'aurait jamais osé penser qu'ils furent celui-là, et qui nous invitent à la réflexion, par delà le torrent de sympathie qui nous envahit.

Il n'est bien sûr pas de mots pour traduire une telle perte, dire la douleur d'une vie rompue, volée, lorsqu'elle se transforme en destin, les regards et les notes qui ne seront plus et restent pourtant écrits quelque part en nous, qui continuons de le porter, de l'accompagner au-delà de l'instant fatidique. Mais il est parfois des oeuvres qui n'en brillent pas moins fort, irradient mystérieusement à travers le temps en suspens : des Lautréamont ou Jean Vigo, des Radiguet ou Alain-Fournier dont l'émotion première frappe plus fort encore qu'une carrière, des Jean-René Huguenin ou dont on s'aperçoit avec le recul que l'oeuvre toute entière réside, comme disait François Truffaut, « dans la première bobine de leur premier film ». Qui ont, non pas tout dit, mais juste assez pour nous interpeller à vie, nous questionner par delà les ans autant par leur création que par leur disparition subite. Qui vivent singulièrement de leur mort, tant elle met encore plus en lumière le chemin admirable qui y mena, et qui la dépasse largement, tant cet homme allait loin, voyait loin. Christophe est de ceux-là : un bel artiste habité, inspiré, visionnaire à sa façon, dont les jeunes oeuvres, désormais figées dans une apparente éternité et en réalité vivantes, émouvantes, n'ont pas fini de nous répondre, de nous parler de lui au présent et d'inspirer de nouvelles générations de sociétaires aussi admiratifs qu'émus par l'indicible beauté des comètes, l'immuable jeunesse de ses notes chantant la soif de vivre.

Claude Lemesle, Président du Conseil d'administration | Bernard Miyet, Président du Directoire

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2006-2011 - © Christophe Bertrand & Gilles Pouëssel