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Musique de chambre Oeuvres

Aus

(2003) – 8′

alto – clarinette en Sib (et clarinette basse) – saxophone soprano – piano

Aus

Le terme aus signifie en allemand « issu de » et « hors de ». La première signification du mot renvoie par homophonie à ma pièce pour piano Haos, qui fournit la base de ce quatuor, en en proposant non pas une copie, mais une relecture, une mise en lumière, des éclairages différents : de Haos surgissent de nouvelles harmonies, de nouvelles structures, de nouveaux motifs, mais également des proliférations de ceux-ci, principe qui constituait déjà la base de la pièce pour piano, toutefois contrainte par les limites techniques et organiques du pianiste et du piano (notamment le piano « bien tempéré ») : dans Aus, ces limites parviennent à être réduites, par l’environnement microtonal, le plus grand nombre d’instruments (permettant par exemple de superposer jusqu’à onze fréquences de répétition différentes). La sensation d’absence de pulsation se trouve encore grandie. La seconde signification renvoie à l’énergie particulièrement électrique, à la virtuosité extrême parfois quasi schizophrène (hors de, démultiplication, etc.) de la pièce, tel que l’attestent des passages indiqués turbolento, esuberante, isterico, pazzo.

Le début de la pièce est assez calme : comme dans Haos, différentes vitesses (jusqu’à onze vitesses différentes) se superposent dans un halo diatonique fait de résonances de pédale, de lents glissandi micro-intervallaires et de vagues soufflets dynamiques. Un mécanisme mou se met en place, se faisant de plus en plus sec et désarticulé, toujours plus rapide, puis se figeant presque avant d’évoluer vers des gammes ascendantes, entremêlées, déphasées entre les différents instruments (cinq gammes enchevêtrées entre l’alto, les vents et les deux mains du pianiste), puis de s’arrêter avec violence. S’ensuit une cadence du piano bâtie comme un immense crescendo dynamique, harmonique et rythmique, inéluctable, orchestral : des aigus martelés émergent quelques pivots à l’harmonie proche du jazz se resserrant en un gonflement volcanique. Cet enflement ne pouvait que retomber ou s’arrêter subitement : ici, il se rompt soudain dans un tacet chargé d’énergie, avant de repartir de plus belle en une frénétique et convulsive toccata, au son peu à peu plus touffu, qui s’envole vers les aigus avec violence lors d’une inattendue cadence de l’alto seul, de plus en plus bruiteuse, alors que les autres instruments ont déjà terminé la pièce.

Même si les différents paramètres évoluent constamment, les motifs se transforment et les harmonies se contractent ou se gonflent, les ruptures sont bien plus présentes que dans mes compositions précédentes dans lesquelles chaque mouvement voire l’œuvre tout entière n’était en réalité qu’un seul et même geste musical : ici, les fins sont souvent brusques, inattendues, tendues, les gestes sont tronqués. Une fois encore, dans Aus, l’énergie est constante, multiforme, mais aucun répit n’est possible ; c’est la raison pour laquelle la pièce ne dure que huit minutes : si elle était plus longue, l’énergie entretenue n’aurait plus d’effet sur l’auditeur, l’attention s’amenuiserait, et la pièce perdrait son sens.

Cette pièce est dédiée au Quatuor Arditti.