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Christophe Bertrand – Écrits, entretiens, analyses et témoignages

Né en 1981, Christophe Bertrand a connu une carrière fulgurante, depuis son entrée au cursus d’informatique musicale de l’IRCAM fin 2000 jusqu’à son décès prématuré dix ans plus tard, à l’âge de 29 ans. Mais surtout, sa musique faisait preuve d’une maturité et d’une expressivité exceptionnelles, que toutes les personnalités du monde musical ont saluées : jamais elle ne laissait l’auditeur indifférent.

Christophe Bertrand – Écrits, entretiens, analyses et témoignages

Livre

Editeur:Editions Hermann
Date :11/09/2015

Né en 1981, Christophe Bertrand a connu une carrière fulgurante, depuis son entrée au cursus d’informatique musicale de l’IRCAM fin 2000 jusqu’à son décès prématuré dix ans plus tard, à l’âge de 29 ans. Son oeuvre, riche d’une quarantaine de titres, a reçu de nombreuses distinctions, et il a été pensionnaire à la Villa Médicis entre 2008 et 2009. Mais surtout, sa musique faisait preuve d’une maturité et d’une expressivité exceptionnelles, que toutes les personnalités du monde musical ont saluées : jamais elle ne laissait l’auditeur indifférent.


Pourtant, Christophe Bertrand n’était pas un révolutionnaire, il s’en est d’ailleurs toujours défendu. L’argument selon lequel il faut faire du neuf avec du neuf le faisait toujours sourire. En effet, depuis la seconde moitié du XXe siècle, beaucoup de courants ont émergé, se sont succédé, ou confrontés en un laps de temps particulièrement bref : la musique sérielle, la musique spectrale, le théâtre musical, la nouvelle complexité, le minimalisme, pour ne citer que ceux auxquels il se référait le plus. Il ne faut pas non plus oublier les nouvelles technologies, qui évoluent sans cesse, et de plus en plus vite.


Dans ce panorama particulièrement riche et en perpétuelle mutation, Christophe Bertrand ne cherchait pas à se faire le chantre d’une école contre les autres, ni de les rejeter toutes par principe, comme il le confiait en 2007 à Frans Waltmans. L’année son décès, il laissait entendre à Nikos Spiliotis que la marge d’évolution était désormais restreinte, qu’il n’y avait plus grand chose à découvrir. Cette remarque peut paraître pessimiste, voire défaitiste. Pourtant, il n’en est rien. Face à la multitude des tendances apparues depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il avait compris qu’il fallait prendre ce qu’il y a de meilleur dans ce legs, et le mûrir. Il n’avait pas la prétention d’écrire lui-même d’oeuvre de référence, mais plutôt d’approfondir les oeuvres les plus représentatives de ces différents courants.


Il n’a pas promulgué de nouvelle esthétique, il n’a pas cherché à inventer de nouvelles techniques ou de nouveaux outils compositionnels ; il n’avait pas non plus l’ambition ni la prétention de porter à leur apogée ceux qu’il a utilisés, comme Jean-Sébastien Bach l’avait fait avec la polyphonie baroque. Peut-être y serait-il parvenu, ou du moins y aurait-il contribué s’il avait vécu plus longtemps ? Quoi qu’il en soit, il avait beaucoup étudié les oeuvres de ceux qu’il révérait, à commencer par le Kammerkonzert de Ligeti, dont il avait déjà une compréhension si aiguë à seulement 19 ans ; pas tant dans l’analyse qu’il en avait faite dans le cadre de son diplôme de composition et reproduite à la fin de cet ouvrage, mais dans l’appropriation qu’il en fait dans sa musique. L’écriture par blocs sonores et la superposition de lignes monodiques à différentes vitesses qu’il met en exergue dans l’oeuvre de Ligeti sont deux traits saillants de sa propre musique. Cela n’est pas encore très explicite dans Yet qui joue sur les déphasages et l’enchevêtrement des lignes (autres aspects de Ligeti soulignés dans son étude) à travers la disposition spatiale des musiciens sur scène, mais sera magnifié par la suite, tant par les formations orchestrales de Mana, Vertigo et Okhtor, que par les oeuvres à effectifs plus restreints comme Satka.


D’autres compositeurs l’ont beaucoup marqué, et plus encore, certaines oeuvres emblématiques. Dans son entretien avec Nikos Spiliotis, rédigé en anglais, il utilisait le terme «manifesta (manifeste), car il voyait en ces oeuvres des phares, ouvrant de nouvelles perspectives qu’il fallait mûrir pour ne pas se laisser dépasser par ces deux tendances extrêmes que sont, d’une part, l’originalité à tout prix, et, d’autre part «les retours à» qu’il qualifiait de «régression intellectuelle». Ainsi, outre Ligeti, Metastasis de Xenakis et Sinfonia de Berio l’avaient particulièrement marqué. Il avait aussi beaucoup d’admiration pour Music for 18 musicians de Steve Reich, qui montrait justement que le diatonisme n’était pas lié exclusivement à la musique du passé ou aux esthétiques «néo-», mais qu’il pouvait faire «sonner» le matériau, comme c’est le cas dans Yet. Il était très impressionné par Vortex Temporum de Gérard Grisey, oeuvre dans laquelle il observait comment l’héritage de Ligeti et Stockhausen avait magnifiquement fructifié. Enfin, il ne faut pas oublier des références plus classiques qu’il a révélées dans ses dernières années : Maurice Ravel, Anton Bruckner et surtout Richard Strauss.