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Oeuvres Voix

Diadème

(2008) – 9′
soprano – clarinette – piano

Diadème

Diadème est une pièce commandée par l’Ensemble Accroche-Note et dédiée à Frédéric Durieux. Elle est écrite pour soprano, clarinette et piano, et sur des poèmes de Pierre Jean Jouve (comme dans ma pièce pour douze voix Kamenaia)

Cette pièce est composée de quatre mouvements séparés par une cadence de piano. L’écriture de cette pièce constituait un véritable dilemme pour moi : en effet, je suis attiré par la vitesse, la virtuosité instrumentale, l’énergie frénétique, et des poèmes que j’ai choisis n’émane que douceur, lenteur, calme, et perfection formelle comme un diamant. Il m’a donc fallu trouver un compromis entre ces deux antagonismes : et j’ai choisi le trille. Car en effet le trille est à la fois rapidité et linéarité. Chacune des quatre pièces développe ainsi un modèle de trille.

La première pièce est constituée de bisbigliandi écrits à la clarinette ; le piano constitue progressivement un arpège, d’une note esseulée à l’arpège intégral dans une processus d’amplification dynamique et spatiale.

La deuxième pièce est faite d’oscillations microtonales à la clarinette et de trilles écrits rythmiquement au piano, tous deux interrompus par des arpèges sans cesse changeants et de plus en plus éclatés spatialement (passant d’un ambitus d’une septième mineure à près de sept octaves).

La cadence du piano est un mélange des harmonies des deux premières pièces, et constituée d’un trille continu, très régulier au rythme inchangé de 12:8. La cadence s’achève par un petit motif de « carillon » qui interviendra plus tard : il s’agit d’un micro-signal qui participe à l’unité de l’oeuvre toute entière.

La troisième pièce est un mélange de bisbigliandi écrits (comme dans la première pièce) et de notes répétées, fondues dans la pédale du piano.

Enfin, la quatrième et dernière pièce est constituée d’un contrepoint complexe entre la voix et la clarinette, un duo d’amour ou les deux lignes s’enlacent. Le piano joue un trille continu, comme une pédale, s’échappe furtivement à deux endroits, avant que les trois voix ne « coulent » visqueusement jusqu’aux notes les plus graves de la voix et de la clarinette, et achèvent l’oeuvre dans le silence.

La voix est écrite de la même manière que dans la quatrième pièce, à savoir des lignes accidentées où la sensation de pulsation est totalement imperceptible, et émaillée à quelques rares endroits de trilles, d’arpèges ou de notes soutenues. Elle a ceci de particulier qu’harmoniquement, elle ne s’échappe jamais des lignes des deux autres instruments, elle s’y fond, et le piano et la clarinette se fondent dans la partie vocale : les trois lignes sont en quelques sorte symbiotiques.

Les poèmes utilisés, tirés de Diadème (1949), Présences (1912), Sueur de Sang (1933-1935), Kyrie (1938), qui mêlent comment souvent chez Pierre Jean Jouve les thèmes de la femme, de l’érotisme, de la mélancolie, du sexe, de la mort et de Dieu, sont les suivants :

  • I. *** [Présences]

    J’interroge ta face d’ombre,Et je reçois tes yeux verts.
    Tu avoues la nuit et l’attente
    Et ces images violentes
    Qui tremblent d’être mon corps
    Avouent la même nuit et la même attente.

  • II. « L’oeuf ouvert » [Sueur de sang]

    Si je saisis tes basses lèvres quel tremblement
    Le chemin blanc du val aveugle de poussière
    On y tombe vaincu d’amour et de colère
    On y meurt de souvenir
    Quel tremblement des lèvres quel cri quelle ombre
    Génisse de l’amour

  • III. *** [Kyrie]

    Tes longues cuisses nues et tendues à cet âge
    Te préparaient au plus profond plaisir
    Celui de soi du vertical sourire
    Dans la chair – et c’était sur une villa d’ombre
    Que tu vivais – plus belle qu’un cheval de mort
    Tu mordais les draps purs et tu te réveillais
    Quelques instants encore avant ta mort.

  • IV. « Au jour » [Diadème]
    Un grand plateau de mer de collines de vapeur
    Se déroule à l’épaisse embrasure des bleus
    Du haut : telle une idée de Chine intérieure
    Se déroule une paix de soie et des villages
    De zéphyr et parfois parmi le cours des âges
    Ici et là un manteau d’ombres sur le coeur
    Et je reçois tes yeux verts.

    Le rêve des odeurs de Dieu se lève
    Le maître épouse l’épousée de son beau temps
    Et des soleils secrets ont pour terme l’oeil noir
    A la profonde essence – au velours des déserts
    A l’opale jusqu’à la corde de la mer.